La petite mort

Nouvelle publiée dans le numéro 18 de la revue Squeeze : Thème : « DANS LE GENRE » – Numéro 18

Thème de ce numéro : « Dans le genre » (Source Squeeze)

squeeze_18_couv_kindle-723x1024Le genre détermine les uns et les autres, dessine des figures opposées et des formes complémentaires, sexualise les humains, les animaux ou bien encore les choses.

On parle de musique, de littérature, de cinéma, de profil Tinder, de capacité à garder son calme, de niveau de civilisation, d’individu, de groupe, de la bouffe d’hier soir, on parle de rassemblements, de divisions, de ce qui est dedans, de ce qui est autour ou de ce qui a raté un virage.

DANS LE GENRE : 12 textes courts par 12 auteurs de tout style, de tout type, de toute obédience mais du genre littéraire et redoutable.


 

À soixante-et-un ans, Joe tenait encore la forme. Sans être un athlète-né, il avait de beaux restes et continuait occasionnellement à séduire des femmes, souvent des collègues, divorcées, dans la quarantaine ou cinquantaine avec leur avenir dans le dos tout comme lui. Mais la boîte pour laquelle il bossait rencontra des problèmes, chute brutale des commandes, mauvais management, liquidation judiciaire et point final. À son âge, retrouver du boulot tenait de la gageure. La prime de licenciement était correcte et les allocations chômage pouvaient lui permettre d’atteindre l’âge de la retraite sans trop avoir à se préoccuper de « retourner sur le chemin de l’emploi », selon la formule d’un connard entendue à la télé. Mais, rapidement, il lui fallut quand même faire quelques choix et réduire ses velléités en matière de consommation ou plutôt de dépenses. Comme disait Joe à certains de ses rares amis, « je commence à me reposer, de ma carrière, mais aussi de la frénésie consommatoire, ça me fait du bien ».

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Décharge(s) Hebdo

Nouvelle publiée dans le dernier numéro de la revue Squeeze : Thème : « ULTRA PREMIUM » – Numéro 17

Thème de ce numéro : « Ultra Premium » (source Squeeze)

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Dans un monde rempli de propositions, il est crucial de hiérarchiser les choses, les services, les personnes, les produits, afin d’accéder au meilleur pour soi-même.

Voyez les sachets brillants, les avantages et les options spécialement sélectionnées pour vous, les fumées et les parfums, le système de récompense dans le cerveau des gens. Voyez le marketing contemporain, la fatuité, le vide ou le trop-plein. Voyez les tours de magie culturels et les illusions sociales. Embrassez les reliefs merveilleux des paradis ultras premium.

ULTRA PREMIUM : 10 textes Gold, 10 auteurs Platinum pour une fois encore, une fois de plus, (mais cette fois plus encore que les autres), chevaucher et dompter les nuages.


Lorsque je suis entré dans ce canard, on s’appelait « Décharge(s) Hebdo ». On raclait les fonds de tiroirs de l’actualité et on fouillait littéralement les poubelles, les bidets, les égouts et même les décharges, d’où le titre. Mais, notre plus, ce qui faisait notre véritable force, c’était le cul. Il y avait des histoires de viols, de prostitution, de relations, adultères, multiples ou contre-nature avec des objets ou des animaux et des photos hypocritement plus soft pour illustrer, généralement des filles fort peu vêtues avec des nibards gros comac. Les obsédés pouvaient s’adonner à la lecture tout en se relaxant avec les images. Certains disaient qu’on lisait notre journal d’une seule main. Pour nous, ça sonnait plutôt comme un compliment et ça expliquait le « S » entre parenthèses du titre. Chez nous, ce n’était pas « du sang, de la sueur et des larmes » comme chez Churchill, mais « du sang, des tripes et du foutre ». J’y ai passé une quinzaine d’années dans ce foutu journal. Il n’avait manqué qu’une partie de mon salaire qui m’aurait aidé à mieux vivre et le bonheur aurait été complet. Mais j’avais un boulot, c’était déjà ça, et on ne pouvait pas dire que les efforts intellectuels fournis surmenaient ma cervelle. Il fallait juste un peu d’abnégation et de recul, comme pour un employé de la morgue et alors, sang, tripes et foutre passaient comme une lettre à la poste.

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Toujours un peu (plus) à l’ouest

Nouvelle publiée dans une version légèrement modifiée dans le N°16 de la revue littéraire Squeeze .

Thème de ce numéro : « A l’ouest« .

squeeze16_couv_kindle-1-723x1024A l’ouest tout paraît nouveau et mystérieux, à l’ouest tout paraît plus libéral, plus vaste, mais à l’ouest le soleil se couche et on ne sait pas ce qui se niche dans les replis du noir.

A l’ouest de Moscou il y a Varsovie, il y aura toujours une ville plus à l’ouest, quelqu’un plus à l’ouest, un point de chute à l’ouest.

A L’OUEST : 11 textes courts, 11 univers d’auteurs au bout de la route.

(source Squeeze)


Un aller retour au Lake Mburo National Park dans la journée, ça tenait de la gageure à l’époque. Il y avait encore des road blocks à la sortie de la capitale comme à l’entrée du plus petit village et, entre toutes ces localités plus ou moins pittoresques, des sacrés nids de poule, les potholes, qui abaissaient la moyenne. Mais Vince m’avait juré que c’était jouable. J’avais objecté la pénurie récurrente de pétrole, l’état des routes, les bandes de thugs, l’âge respectable de sa caisse, mais mon pote avait tenu bon. Le jour J, à l’heure H, c’est-à-dire un samedi aux aurores -ce qui ne nous arrivait jamais- on s’est retrouvés dans le salon à essayer de se réveiller avec un café préparé par Juliet, la cuisinière. Elle avait fait des œufs au bacon mais je n’ai rien pu manger, à cause des abus de la veille. Vince n’était pas beaucoup mieux réveillé. Le blanc de ses yeux aussi brouillés que les œufs tirait vers le jaunâtre.

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Pour une poignée de spaghettis

Nouvelle inédite – Extraite du recueil (inédit) « Out of Uganda« , 15 nouvelles.


klaJ’expédiais les affaires courantes au boulot sans trop de conviction en attendant que quelque chose se dessine d’un peu inhabituel, quelque chose qui casse la routine dans laquelle j’avais fini par me glisser. J’étais en train de compter le nombre de caisses et de bouteilles de bières pleines au bar de l’Institut, une école de langue où je donnais quelques cours et gérais le quotidien. On était en période de vacances et la saison des pluies battait son plein. Kampala était devenue semi désertique, de quoi faire une pause après la difficile année qui venait de s’écouler avec ses soirées, ses fêtes et mes journées de travail interminables. Par les hublots de béton du National Theater Building, j’ai aperçu Vince débouler en trombe sur le parking au volant d’une voiture japonaise d’emprunt. Il s’est engouffré dans les escaliers. Je l’entendais arriver de loin et héler au passage tous les glandeurs et les commères qu’il croisait et connaissait. J’avais du mal à me concentrer pour compter les bouteilles pleines, j’avais hâte de terminer ce foutu inventaire.

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Pour quelques capotes de plus

Nouvelle publiée dans une version légèrement différente dans le N°15 de la revue littéraire Squeeze sous le titre « Pour une poignée de condoms ».

Thème de ce numéro : « Tonton Bob »

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Mais qui est tonton Bob ? Le mari éperdument amoureux de tata Yoyo ? Le sobriquet affectueux de mon vélo fluo ? Nous connaissons tous un tonton Bob, nous entretenons tous un rapport émotionnel avec un tonton Bob, il est un proche ou un inconnu avec une réputation, il est quelqu’un ou quelque chose, un personnage, un objet, une griffe, une marque de fabrique, il est une évocation dans la tête des gens.

TONTON BOB : 10 textes courts, 10 auteurs, 10 visages.

(source Squeeze)


C’était il y a plus d’un quart de siècle et ça a débuté comme ça. J’essayais d’échapper au service militaire alors obligatoire. Après quelques efforts dont une visite médicale pendant laquelle on m’avait collé un doigt dans le cul sans m’expliquer pourquoi, j’avais réussi tous les tests et finalement atterri en Ouganda comme volontaire. Je bossais à Kampala et j’habitais à Bugolobi, un quartier excentré à l’est de la capitale. Evidemment, je ne connaissais personne dans le pays quand je suis arrivé mais je me suis rapidement lié avec quelques énergumènes et ça n’a pas arrêté ensuite. Il y en a eu de toutes les nationalités, des Ougandais, des Italiens, des Zaïrois, des Irlandais, etc. et aussi quelques-uns parmi mes compatriotes. Phil était un de ces zèbres. J’avais senti une poignée de mains assez franche lors de notre première rencontre dans un couloir de l’ambassade. Le Consul nous avait introduits, Phil, Henri, Henri, Phil, enchanté, enchanté. Bienvenue en enfer, avait ensuite ajouté Phil. Lire la Suite →